Il y a presque quinze ans (le 9 mai 2010) s’est éteint Abdelaziz Meziane Belfqih. L’homme était discret, peu connu du grand public, mais sa trace et son héritage demeurent indélébiles. Ancien ministre de l’Agriculture et des Travaux publics, conseiller de Hassan II puis de Mohammed VI, il a été la cheville ouvrière de nombreux grands projets et réalisations du royaume (Tanger Med, l’aménagement de la vallée du Bouregreg, le rapport du Cinquantenaire…). Infatigable travailleur, avec un sens aigu du service de l’État, il réussissait tout ce qu’on lui confiait, à l’exception amère de la réforme de l’Éducation nationale, qu’il avait tenté de mener en présidant la COSEF en 1999.
Abdelaziz Meziane Belfqih était le meilleur DRH de l’histoire du Maroc moderne
Mais le grand héritage de Meziane Belfqih, et c’est ce qui nous intéresse ici, est incarné par le vivier de grands commis de l’État, de technocrates et de cadres qu’il a su mettre au service du pays. Une partie considérable de “la noblesse d’État” au Maroc doit son ascension et sa position à cet homme. Meziane Belfqih était le meilleur DRH de l’histoire du Maroc moderne.
Il avait un don inouï pour dénicher les bons profils, issus généralement des grandes écoles d’ingénieurs, pour les convaincre de rejoindre l’administration publique et les mettre sur orbite. Il est impossible de dresser une liste exhaustive de tous les cadres repérés par lui et qui peuplent et dirigent des ministères, des offices publics ou de grandes entreprises nationales. Il suffit de citer quelques noms comme Abdelouafi Laftit, Chakib Benmoussa, Mohamed Mhidia, Karim Ghellab et Mohamed Boussaïd pour s’en apercevoir et comprendre cet héritage.
Désormais, les surdiplômés et les têtes bien faites préfèrent les salaires confortables et les carrières rentables du secteur privé aux chemins lents et accidentés au service de l’État
Avec la disparition prématurée de Meziane Belfqih, une place est restée vacante pour jouer le rôle de chasseur de têtes, de recruteur au service de l’État et de modèle pour des générations de hauts fonctionnaires. L’administration publique ne fait plus rêver. Les surdiplômés et les têtes bien faites préfèrent les salaires confortables et les carrières rentables du secteur privé aux chemins lents et accidentés au service de l’État, malgré le prestige que ce dernier pourrait faire miroiter. On appréhende également, chez ces hauts cadres, la culture de la conformité et de la procédure qui paralyse l’administration publique et détruit tout esprit d’initiative, même de bonne foi, craignant la sanction, la disgrâce et les ruses des médiocres. À l’exception de quelques ministères (notamment l’Intérieur et les Finances), on peine à recruter et à former des profils d’excellence, capables d’incarner un État fort et performant.
Cette pénurie de compétences dans le secteur public explique en partie le recours systématique et pavlovien aux cabinets privés de conseil et les contorsions budgétaires pour s’offrir les services d’individualités de qualité. Une situation qui nous renseigne aussi sur le secret de la longévité et des rotations de quelques hauts fonctionnaires à la tête d’administrations et offices publics. L’État gère ainsi la rareté des élites capables de réunir compétence, loyauté et sens du service public. Tandis que le stock des compétences se referme sur lui-même, le poids de l’âge se fait sentir et le besoin d’un sang neuf devient nécessaire.
Malheureusement, les forces politiques qui se sont succédé au gouvernement depuis 2011 n’ont pas pu créer un nouveau vivier, solide et performant, au sein de la haute fonction nationale. Le PJD ne disposait pas dans ses rangs de profils capables de gouverner et de gérer l’administration publique, les élites technocratiques étant culturellement incompatibles avec le parti islamiste. Quant à Aziz Akhannouch, son mode de fonctionnement et de cooptation, basé sur l’allégeance personnelle et l’entre-soi, est aux antipodes du modèle de service public et d’intérêt général.
Il ne laissera pas, comme legs, une pépinière de talents au service de l’État marocain, et ses affidés disparaîtront des radars après la fin de son (ses) mandat(s). Espérons que d’autres acteurs, à la jonction entre l’économique et le service public et soucieux de l’avenir du Maroc, réussiront à reconstituer un nouveau vivier de compétences, au service de l’État et de la nation. L’héritage de Meziane Belfqih sera ainsi renouvelé.